▬ T’as toujours été comme ça ?
▬ Comme quoi?
▬ Bah… Comme ça ! À sourire bêtement pour tout.
▬ Je ne souris pas bêtement!
▬ Oh que si !
▬ Retournez à vos places, les jeunes! Le cours va commencer !

Son amie retourne s’asseoir en lui tirant la langue une dernière fois, geste auquel Romane répond aussitôt. Le professeur commence à débiter sa leçon, mais elle a déjà la tête ailleurs tandis que son regard se porte rêveur sur les paysages derrière la fenêtre.  

Une image s’impose à elle.
En France, à Montpellier, une petite fille sur un banc, elle est plongée dans un bouquin et complètement coupée de la réalité. Certains de ses camarades lui jettent un coup d’œil surpris, déconcertés pour la plupart d’une telle attitude. Pourquoi se contente-t-elle de rester dans son coin ? Elle doit sûrement s’ennuyer avec un livre aussi gros dans ses mains. Ils ont déjà essayé de lui adresser la parole à la rentrée, mais n’ont pas insisté bien longtemps après s’être rendu compte qu’elle n’essayait pas de poursuivre la conversation. Il y a des gens qui aiment être seuls, c’est sûrement le cas de la petite là-bas.

Pourtant, lorsqu’ils se détournent pour entamer un nouveau jeu, la petite lève les yeux de son livre pour les poser sur ses camarades qui rigolent à gorge déployés. Elle les envie.
Mais elle est timide, et n’arrive pas à se lier d’amitié avec les autres de son entourage. Elle n’aime pas se l’avouer, mais cela l’énerve. D’être comme ça.  Elle veut être plus forte. Mais par-dessus tout, il lui arrive par moment d’imaginer que quelqu’un insiste suffisamment auprès d’elle pour qu’elle brise sa carapace.

Elle n’est pas comme ça chez elle. Elle sourit, elle rit et enlace tendrement ses parents. Sa famille n’est pas très bien perçue.  Il y a quelques années, les Dubois étaient énormément respectés par les autres familles de magiciens.  Et puis un jour,  une attaque se déclare par des sorciers pendant une réunion de bienséance entre certaines familles importantes de la société française. Durant cet événement, le dirigeant de la famille Dubois à l'époque, par crainte, a plié le genou, signe de soumission. Un geste qui marque le début aux enfers pour eux. Cette famille est désormais connue, oui, mais pour une tout autre raison et tous se détournent devant ce nouveau modèle de lâcheté.

Romane connaît cette histoire par cœur et depuis, à développer une certaine haine à l'égard des sorciers qu’elle considère comme responsables de tout. Mais cela n'empêche pas le fait qu'elle aime sa famille. Rapidement, elle se donne comme objectif de restaurer l’honneur de la famille Dubois.  De se montrer courageuse et de ne plus pleurer en permanence.

Un jour, un nouvel élève arrive. Ce dont elle se souvient parfaitement, c’est de son sourire. Un sourire magnifique qui engage les gens à venir le voir pour l’admirer de plus près. La petite est jalouse de sa facilité et de sa rapidité à communiquer avec les autres élèves de sa classe.
Mais on ne sait pas comment, ce nouveau garçon s’attache à la petite, tente de sympathiser et un jour, tandis que les autres lui proposent de faire une partie de balle aux prisonniers, il se tourne vers elle:

▬ Tu ne viens pas jouer, Romane ?

Car il suffit d’une personne.
-Allez viens dépêche!
Une main tendue.
-Je te préviens, je t'agrippe!
Pour que les choses changent.

Cette rencontre est décisive pour Romane. Elle parvient à s’amuser, à rire avec les autres pour la première fois. Elle se sent en vie. Le garçon et elle passent plusieurs années ensemble. Elle se décoince, s’ouvre davantage et commence à comprendre que dire ce que l’on pense n’est pas forcément une mauvaise chose. Que les gens sont étonnamment moins effrayants que ce qu'elle pensait.

Quand elle passe au collège, un de ses amis s’affole sur la mauvaise réputation de sa famille et ne veut pas être lié davantage à l’héritière d’une famille de lâches.  Il s’éloigne, quelques autres aussi.
Elle a peur de se retrouver à nouveau toute seule, mais quand elle se retourne, ce garçon est encore là. Il n’y a pas de raison de lâcher des larmes. Elle ne veut pas pleurer. Pour sa famille et pour elle.  

En grandissant, Romane prend pour habitude de photographier tout ce qu’elle trouve de beau, tout ce qu’elle veut immortaliser pour toujours. Ce fut d’abord sa famille, puis ses amis,  son chat, les insectes, les fleurs. Elle se trouve une véritable passion et reçoit un appareil de qualité de la part de ses parents lors de son quatorzième anniversaire.

Lorsqu’elle entre pour la première fois à Sainte-Catherine, ce n’est pas facile.  Elle découvre un univers différent où plusieurs familles de magiciens, pour la plupart importantes sont réunies. Son apparition dans cette école prestigieuse crée le scandale auprès de quelques parents qui ne veulent pas d’une telle influence sur leur descendance. Pourtant, elle lève la tête et sourit. Ils ne sont pas dangereux ni bien méchants.  Aucun magicien ne l’est réellement, elle en ai convaincu. Peu importe combien de personnes doivent se mettre sur son chemin pour qu’elle le prouve, peu importe qui elle devra affronter.  

Finalement, la persévérance finit par triompher, on commence peu à peu par la laisser tranquille, et même à l’apprécier. Romane s’attache rapidement à cette école.

Pourtant, cette année est différente. Les sorciers arrivent!
Elle à peur, elle est en colère, plein de sentiments la submergent.
Mais elle doit serrer les poings et avancer.  

▬ DUBOIS!
▬ OU… OUI !
▬ ARRÊTE DE RÊVASSER !
▬ OUI CHEF… EUH MONSIEUR!

Les élèves rient. Romane soupire.
Car il y a encore les cours à affronter.