Finalement, le jour tant attendu était enfin arrivé. Si pour beaucoup d'élèves de l'école de magie, ce n'était qu'une rentrée comme les autres, la jeune femme aux yeux hétérochromes était parfaitement consciente des enjeux de l'arrivée des Sorciers à l'école Hortensia. Non, l'école Sainte Catherine. Hortensia n'était qu'une école pour magiciens, un symbole du pouvoir des Grandes Familles. En Sainte Catherine, Désirée voyait un futur prometteur pour ses pairs, trop longtemps persécutés. Elle l'avait compris dès le discours du directeur. Ce Leroy, quel homme ! La Beauregard avait été émue, presque fière d'entendre de si beaux mots de la part d'un magicien. Certains pouvaient penser que Désirée exagérait clairement les faits. Mais pour elle, la sorcière qui pouvait ressentir toute la souffrance et la peur causées par une Malédiction d'un autre sorcier, cela pouvait représenter tant.

Après tout, elle n'avait qu'une année à passer à Sainte Catherine car il était hors de question qu'elle redouble et il fallait qu'elle saisir l'opportunité qui se présentait à elle. A tous les coups, si cette première année de cohabitation depuis des décennies entre deux espèces s'avérait être un fiasco -et elle en avait tout le potentiel-, alors les chances de voir une telle chose se reproduire pourrait être réduit à zéro. Cela pourrait même conduire à une guerre en cas de conflit majeur. Et la communauté des sorciers, trop petite en nombre et trop handicapée par les Malédictions, avait déjà essuyé trop de pertes. Et puis si cela échouait, aucune grande université de magiciens n'ouvriraient leurs portes à des Sorciers. Sans cela, Désirée abandonnerait sans doute toute étude approfondie de la magie : les universités de sorcellerie étaient bien plus rares et n'offraient pas les mêmes ressources que celles des Magiciens. Elle retournerait à sa vie de mannequin/danseuse éphémère, oubliant ainsi son rêve de devenir une grande femme politique défendant ses congénères et leurs droits... Oui, ça représentait tant.

Elle n'avait qu'une chance et il fallait donner tout ce qu'elle avait dès le premier jour. Bien sûr, peu de Magiciens avaient osé l'approcher. C'est vrai que bien que d'apparence charmante, l'approche de Désirée pouvait être étonnamment agressive. Son physique avait beau donner l'air qu'elle est une jeune demoiselle tout-à-fait bien-élevée et douce, elle avait le don d'intimider les gens. Peut-être à cause de ses attributs physiques très uniques, ou simplement son aura ? Un corps qui semblait toujours danser, gracieux et léger comme le vent mais une détermination d'acier et une passion dans ses paroles que nul ne pouvait ignorer, voilà l'image que donnait la Sorcière. C'était sans compter sur le fait qu'au vu de certains regards à son égard et certains chuchotements à son passage, un nombre de personnes l'avait reconnu. Elle, Désirée Beauregard, muse et mannequin pour la maison de haute couture Beauregard, bien connue par les humains. "Que fait-elle ici ? C'est une Magicienne ? Ou une Sorcière ?!" Oui les quelques jeunes gens qui s'intéressaient un peu au monde de la mode humaine l'avaient reconnu tout de suite. Mais sans doute n'avaient-ils pas le cran d'aller la voir ? Ou étaient-ils surpris car ils pensaient qu'elle n'était qu'une humaine qui posait pour des magazines ? Pas un pas dans sa direction, juste des regards et des chuchotements qu'elle ne connaissait que trop bien. Cependant, elle ne perdait pas espoir, après tout, ce n'était que son premier soir à Sainte Catherine et il était loin d'être fini !

Après la cérémonie de rentrée et la rencontre avec l'élève dont elle serait la parraine, Désirée entreprit de monter dans ses nouveaux appartements accompagnée d'un nouveau membre de sa famille, Eternelle. Un magnifique, magnifique phénix blanc et or, aux yeux pourpres... et un mâle. Dès l'instant où elle l'a entendu, elle a vu son petit caractère précieux mais aussi si diligent et honorable, elle avait su tout de suite comment l'appeler. Néanmoins la blanche n'avait pas expliqué le choix de ce nom au phénix, pourquoi l'emploi du féminin, pourquoi ce nom simplement ? Le phénix avait rapidement compris les limites ou alors, il lut dans son esprit la bien triste et belle raison d'un tel choix car il accepta sans rechigner. C'était ensemble, dans un silence apaisant qu'ils se dirigèrent vers la chambre 27.

Désirée avait pris soin de retenir le nom des trois jeunes filles qui allaient partager son intimité pendant toute une année scolaire, pour son plus grand malheur. Cette dernière avait beau être très sociable, il lui fallait admettre en son fond qu'elle aimait beaucoup moins la compagnie qu'elle ne l'admettait. Un petit temps sans personne était parfois nécessaire. Et surtout, elle avait peur qu'à un moment donné, son petit air de sainte nitouche finisse par se briser et qu'elle s'énerve sur une de ses camarades de chambre si les deux avaient de forts caractères. Il fallait se l'avouer, Désirée était bien moins plaisante qu'on pouvait le croire. La nouvelle Dragon ne pouvait que croiser les doigts. Une infime partie d'elle redoutait de dormir avec d'autres sorcières : elle s'imaginait déjà les nuits de terreurs à partager avec ces dernières. D'un autre côté, partager une chambre avec des Magiciennes n'était pas un rêve éveillé non plus. Justement car il fallait se les mettre dans la poche et qu'en restant trop souvent avec elles, Désirée risquait de détruire ses chances de se faire des contacts magiciens en révélant son véritable caractère ou ces dernières pouvaient être des racistes de premier calibre qui pourraient l'attaquer dans ses moments les plus vulnérables. Voire simplement de filles jalouses, Magiciennes ou Sorcières ! Enfin, il ne fallait pas non plus devenir paranoïaque et rester positive ! Après tout, Désirée avait l'habitude de traiter avec des vipères qui étaient prêtes à tout pour ruiner une rivale. Et d'ailleurs, Désirée n'en était pas exclus...

Finalement arrivés devant la chambre 27, Désirée se permet de toquer promptement à la porte avant de l'ouvrir elle-même après quelques secondes. La nouvelle élève fut assez surprise de voir que quelqu'un était arrivée avant elle, qui faisait toujours tant dans le zèle. C'est vrai, elle avait un peu trop papoté avec quelques familles de sorciers plus ou moins influents durant la soirée. Un peu embarrassée mais ne le montrant pas, la nouvelle arrivante s'annonça promptement à sa colocataire, son grand sourire de mannequin au visage.

- Enchantée, je suis Désirée Beauregard, sorcière. Et voici mon familier, Eternelle. Ce dernier hocha la tête sans dire un mot, en signe de bonjour. Pardonnez-moi si je vous ai interrompu dans votre emménagement mais il semblerait que nous allons partager cette chambre durant toute l'année scolaire ; faisons de notre possible pour nous entraider tout au long !

Le vouvoiement, le vouvoiement indispensable. Comment pourrait-elle tutoyer quelqu'un dont elle ne sait virtuellement rien ? Désirée devait se montrer sous son meilleur jour et paraître amical, mais elle ne pouvait décemment pas tutoyer cette jeune fille qui était loin d’être sa meilleure amie. Aussi, elle avait immédiatement choisi de révéler son espèce, afin d'encourager son interlocutrice à faire de même et à mettre les cartes sur table. Il fallait qu'elle soit fixée sur la nature des jeunes filles avec lesquelles elle partagerait son dortoir et qu'elle sache si elle pourrait s'en faire des alliées ou des ennemies. Discrètement, la Beauregard observa de ses yeux pairs la jeune fille en face d'elle. Ses longs cheveux foncés, longs et coupés droits étaient tout à l'inverse de la chevelure plutôt courte, blanche et ondulée de la jeune fille. Son corps était plus voluptueux que celle de la danseuse, notamment sa poitrine. Désirée n'était pas totalement jalouse, elle n'était pas forcément plate et ce qu'elle manquait en haut, elle l'avait en bas. Sans compter que pour une danseuse de ballet, trop de formes pouvaient affecter négativement ses performances alors que la jeune fille disposait d'un corps fin et élancé, quelque peu musclé et d'une grâce très rare. Non, il ne valait mieux pas gâcher cela pour une taille de bonnet en plus. Elle prit alors le temps d'observer son visage. Ses yeux étaient rouges comme des rubis et Désirée dût admettre qu'elle portait légèrement mieux le rouge qu'elle. Heureusement, il ne s'agissait pas du rouge vif des Phénix mais d'un sombre rouge bordeaux. Désirée était plutôt couleurs sombres comme celle-ci, bien qu'en réalité, un beau vert émeraude irait bien mieux à son teint encore halé par le soleil méditerranéen. Elle vit alors, sur les draps de sa colocataire, une sorte de serpent blanc. La danseuse envoya une petite pensée par télépathie à son nouveau familier pour lui faire remarquer la similarité amusante de couleurs entre le reptile et le rapace alors que les deux maîtresses étaient si différentes physiquement. Si les familiers reflétaient leurs propriétaires, peut-être n'étaient-elles pas si différentes que ça, qui sait ? Enfin, ce n'était qu'une similitude dans les couleurs. Une créature volante n'avait rien avoir avec une créature rampante.

Désirée décida alors de prendre un des lits situés près d'une fenêtre afin d'avoir une vue sur l'extérieur. Plaçant ses valises à côté du lit en question, elle releva à nouveau la tête vers sa colocataire.

- J'ai l'impression que nous sommes les deux premières, je me trompe ? Dans ce cas, je peux prendre ce lit, n'est-ce pas ? finit-elle, toujours avec le même sourire.

Evidemment, cela n'était qu'une formalité. Bien sûr qu'elle savait qu'il n'y avait personne installée ici, elle voulait simplement paraître polie. Néanmoins, s'il s'avérait que quelqu'un était bel et bien déjà installé à cet emplacement, elle devrait en découdre avec la Dragon qui était très sérieuse sur le fait d'avoir ce lit spécifique et qui était prête à marquer son territoire et ses limites.