Vous savez quel animal a la mémoire la plus courte ? Non pas le poisson rouge (de son vrai nom le cyprin doré) mais le canard pilet. Typique le genre de canard qui oublie le bout de pain lancé 3 secondes plus tôt s'il ne l'a pas mangé. Et bien sur, vous le savez, l'éléphant à le record de mémoire du règne animal. Mais qu'en est-il du Cyrus Autios Gallandalis, communément nommé le Cyrus Galland ?

Il se souvient très mal des visages, de ce qu'il voit. Mais sa mémoire auditive elle, a enregistré des conversations pour sa vie. Et les rumeurs, les mots mauvais, tout particulièrement. Mais il a aussi quelques souvenirs heureux. L'un de ses plus anciens remontent à ses quoi, 4 ou 5 ans ?

Il était dans le grand salon de sa maison suisse. Il le préferait au petit salon, ou même à sa chambre, pour une raison simple : la cage à oiseaux, où voletaient 2 moineaux et un cacatoès à huppe jaune. Ils en faisaient du bruit ces 3 là. Mais ce tintamarre, il le supporte. Bien plus que l'agitation des gens de la maison. Comme ces cris qu'il entends au loin. Sans doute de son bébé de frère. Mauro, deux ans de moins. Dans un age où les mots arrivent doucement aux lèvres, mais où crier reste si simple. Les cris grandissent, s'accompagnant vite de petits pas, jusqu'à ce que la tête blonde rentre en galopant dans le grand salon.  Suivi par leur tante et nourrice. Cyrus déteste cette femme. Il n'arrive jamais à la comprendre. Toujours ce grand sourire aux lèvres, et pourtant elle peut crier avec ce sourire, pleurer avec. Pourquoi n'arrête-t-elle pas ce sourire qui le perturbe tellement ? En plus, elle dit la même chose de lui sur son absence d'expression. Il a montré qu'il savait parler, mais il ne lui dit jamais un mot... A bien y reflechir, à part le docteur et les oiseaux, il ne dit jamais un mot à qui que ce soit.

Et puis il y a Mauro. Mauro qui crie, et qui pleure. Il fait la grimace, tout rouge, avec ses mèches blondes qui lui donnent un air de toutou. Mauro qui tends ses petits bras vers lui. Et pour la première fois depuis sa naissance, Cyrus prends Mauro et le met sur ses genoux. Meilleure décision du siècle. Cette petite boule d'émotions, elle a un peu de lui. Il arrive à comprendre les émotions simples du bébé. Il peut lui caresser la tête, et en fermant les yeux, il lui chuchote quelque mot, des mots calmes et doux pour effacer les larmes. La tantine réclame le petit, mais ce petit, c'est Cyrus qui le tient désormais. Il chuchote à Mauro "Dis que Non. On veut pas, et elle est méchante.". Et l'enfant qui répète en hoquetant, bien plus fort... Oui, Cyrus n'oubliera jamais le moment où il s'est attaché à Mauro.

Car depuis lors, dans la maisonnée, les deux garçons furent inséparables. Le reste de la famille pouvait vivre ce qui lui plaisait, les frères avaient leur monde. Leurs codes, et surtout leur système. Le cadet respectait le silence de son aîné, et le temps qu'il passait à côté des oiseaux, ou dehors à caresser les chats errants. L'aîné écoutait les crises du cadet, trouvait les petits mots pour le calmer, et l'aidait avec ses cours.

Ah ça, l'école...Dur sujet pour le duo. Mais bien sur, celui qui nous intéresse, c'est Cyrus. Oh, il n'avait pas de difficultés particulières avec les matières. Il lisait bien, beaucoup, et appris l'écriture à toute vitesse... Même s'il prenait des siècles pour écrire. Chaque lettre devait être parfaite. Un millimètre de différence et il la reprenait. Après tout, ne lui disait-on pas qu'en tant qu'aîné de la famille, il devait montrer l'exemple ? Les professeurs pensaient à tort qu'il avait du mal à écrire, mais son application donnait un effet calligraphique sublime... Il n'avait juste pas fini la dictée à temps, obnubilé par les boucles de son f. Il en allait de même avec les mathématiques. Tant que les chiffres restaient dans sa tête, il maîtrisait le sujet comme une élève de classe supérieure. Mais comment le faire comprendre à ses éducateurs quand il ne réponds jamais aux questions à l'oral ? Le seul sujet où il semblait exceller étaient les leçons de vie où l'on pouvait étudier les animaux. Quand aux autres élèves de son école privée...

-Il me fait peur Cyrus. Il t'a déjà dit un truc toi ?

-Nan. J'crois qu'il sait pas parler.

-Moi j'crois surtout que c'est un débile. Regarde, il est tout seul avec deux escargots là. La honte.

-Beeerk, comment il fait pour laisser ce truc sur sa main ?

Oh oui, il se souvient bien de ce genre de discussion. Toute sa vie il les a entendus. Mais l'opinion des autres, ces fantômes n'existant qu'à moitié dans sa bulle de monde idéal ? Il s'en moquait royalement. C'est peut-être pour ça que, à 11 ans, il n'avait pas compris l'importance de cette discussion surprise entre ses parents. Il était sorti de son lit sur la pointe des pieds pour faire entrer un chien errant. C'est comme ça qu'il était passé près du petit salon...

-Ma douce, je sais que tu y es attachée... Et c'est mon grand garçon. Mais il faut se rendre à l'évidence...

-Il peut encore être un bon magicien. Il suffit de trouver une école...adaptée ?

-Même s'il devient un bon magicien, comment veux-tu qu'il dirige quoi que ce soit ? Il ne parle qu'aux animaux. Sa famille, ce seront des gens, pas des chats !

-Je comprends... Mais quand même, n'est-ce pas...trop ?

-De toute façon, je ne pense pas qu'il serait heureux de devenir le chef. Et tu ne veux que son bonheur, n'est-ce pas ?

-...Oui... Bien... Je suppose...

Cyrus, le chien dans les bras, avait assisté sans bien réaliser à son déshéritement. Pourtant, il n'était pas capable d'oublier cet échange. Peut-être parce qu'avec le temps, il avait ressenti les changements. Moins de monde sur son dos, plus de concentration autour de Mauro. Il s'en voulait un peu, mais que pouvait-il faire ? Il n'était qu'un idiot bizarre après tout.

Sa mère restait confiante en ses dons magiques. Peut-être avait-elle remarqué les progrès de son aîné en cours, apprenant à regret à être moins parfait dans sa calligraphie au profit de la vitesse. Ses efforts pour lui parler, même s'il gardait la tête baissée. Ou bien était-ce juste cet instinct maternel typique, que de protéger son agneau blessé. Toujours est-il que pour lui donner la chance de faire ses preuves, c'est dans un pays voisin qu'elle l'envoya, à Sainte Catherine.

C'est bien là-bas qu'il a son meilleur souvenir. Son entrée chez les Faunes, et recevoir celle qui allait devenir sa meilleure amie. Sa gardienne. Sa confidente, mais aussi sa thérapeute. Maud.

Les Faunes l'ayant recu avant lui avaient tous de sublimes familiers. Panthère, Renard, petit dragon ou lapin adorable...Et puis vint son tour. Celui de prendre la petite boule dans ses bras. La voir se déplier en cette...Chose. Un animal étrange aux grands yeux d'or, des longues pattes...Et surtout, un long doigt à chaque main, dont l'un lui tapota le crâne. La voix douce et posée resonna dans son esprit, comme mal reveillée.

-Bonjour Cyrus. Je suis...heureuse...De te rencontrer.

Il chuchota avec un petit sourire, et des yeux émerveillés. -Moi aussi... Maud...

Peu importe les regards sur la curieuse bête. Cyrus la trouvait parfaite. Elle n'avait pas une apparence noble mais elle restait unique. Se démarquant du lot avec un mélange de bizarrerie et de simplicité, un peu comme lui.

L'année fut mouvementée. Apprendre à vivre sans Mauro à côté, dans un autre pays, entouré d'inconnus cherchant à briser sa bulle. Mais avec Maud et les familiers, il trouvait un peu de visages amicaux autour de lui. Ses notes étaient pour le moins disparate, son désintérêt pour certaines matières n'aidant pas. A la place durant ces cours, il prenait soin d'autres familiers ou regardait le jardin avec envie. Dès qu'il pouvait rester dehors, il approchait la faune et les espèces magiques du château. Durant cette année, certains familiers pouvaient disparaitre quelques minutes à une heure, avant de revenir à leurs maitres comme si de rien n'était... Lavés, coiffés, et parfois avec de nouveaux accessoires. Remonter la piste jusque Cyrus ne fut pas compliqué. Il avait fait de sa chambre un vrai petit centre de soin pour familiers et animaux. Après avoir du lui rajouter quelque règle concernant la propriété des familiers et le consentement des maîtres, les choses se tassèrent, mais sa réputation de voleur de familier resta, au désespoir de Maud.

Mais c'est un mot qui marqua cette fin d'année, et un tournant pour Cyrus. Un mot du médecin et de l'infirmière.

Autiste.

Ils l'avaient fait passer plusieurs tests, envoyés un dossier dehors... Puis en fin d'année, Cyrus fut convoqué dans le bureau du docteur pour découvrir ce mot. Cyrus n'était pas bizarre. Ni fou, ni idiot. Il était autiste. C'est l'autisme qui l’empêchait de comprendre les gens, qui rendait les vêtements serrants aussi étouffant et irritants. L'autisme, ça ne se soigne pas qu'on lui dit. Mais on peut très bien vivre avec, et être très heureux.

Quelque chose doucement se débloque en lui. Un certain soulagement, la sensation d'être un humain complet. Il en informa son frère dans une lettre, mais pas ses parents. Si jamais ils savaient, peut-être qu'ils changerait d'avis ? Reprendre la place d'héritier ? Très peu pour lui, il avait eu la chance égoïste d'y échapper... Il comptait en profiter, et faire ses preuves à sa façon. En commençant, la rentrée suivante, par créer son association. "Les amis des familiers et autres animaux." Partager sa passion avec les autres élèves, les inviter un peu dans son monde.

Aujourd'hui en quatrième année, toujours président de l'association, avec les options de zoologie, études des plantes et bien sur soins des créatures magiques en options, il compte bien montrer ce dont il est vraiment capable, Maud fièrement perchée sur son épaule.