« Dis Maman, je suis obligée de devenir une femme ? »

C'est ainsi que mourut Lucie. Lucie, c'était une jeune fille adorable, assez discrète, qui était curieuse de tout. Lucie, elle était née chez les Gilread. Une famille ancienne, une des Grandes familles de Magiciens. Ce jour là, sa mère était à la tête de la famille. Les règles que semblent suivre les autres familles, eux les ignoraient. L'aîné sera l'héritier. C'est une fille ? Alors c'est l'héritière. C'était aussi simple que ça. Bien sûr, c'est arrivé avec le progrès des mentalités. En voyant les humains évoluer pour laisser plus de place à la femme, les magiciennes de cette famille ont également voulu le pouvoir, et la liberté d'être. Désormais, la femme comme l'homme règne en égal sur la famille, et ce depuis quelques générations.

Lucie, elle portait de jolies robes, elle avait de beaux cheveux longs que sa maman lui brossait avec soin en lui disant « Tu seras une femme, ma fille ». Lucie, c'était la seule fille de sa fratrie. Déjà deux grands frères, dont un presque adulte déjà. Lucie, quand elle est morte, elle avait sept ans.

« Pourquoi tu me demandes ça, ma chérie ?
- Parce que... Parce que moi, j'aimerai bien être comme papa. Et comme Adam. Et comme William.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ben... Les filles... Elles portent des robes non ? Et puis... Tu sais maman, je t'aime beaucoup, mais... Les seins... J'en aurai aussi, c'est ça ? Ben moi je veux pas. Je suis obligée maman ? »

La petite Lucie, on la disait mature pour son âge, et sa mère le savait. Lucie était mature. Peut-être trop. Sans doute l'influence de ses frères. Elle lui faisait confiance, alors elle lui proposa de n'être ni fille ni garçon pendant un moment, que Lucie puisse décider. Dans ces temps modernes, l'accès à des médicaments stoppant la puberté était possible. Du moins, au Canada.

« Tu veux que je te fasse ressembler à un garçon ? »

Lucie hocha la tête. Pour la dernière fois. Et Aelgyth pu naître.



« Tu t'appelles comment ?
- Valentin. Et toi ?
- ... Aelgyth.
- C'est super beau comme prénom ! »

Un sourire d'admiration. Le rouge qui envahit le visage du magicien. Et leurs mains qui se joignent. Timide rencontre d'un soir d'été. Comme beaucoup de premiers amours.

« Tu sais que je suis un garçon, hein ?
- Ben oui ? T'en es pas un ? »

Même avec l'explication, Valentin ne le rejetait pas. C'était la première fois qu'il se sentait réellement accepté par l'extérieur. Doux petit Valentin, tu es mal-né, toi. Sorcier. Si Aelgyth t'aimait, ce n'était guère le cas de sa famille. Et si tu l'aimais, les autres ne l'aimait pas.

Aelgyth a aujourd'hui 13 ans. Après un long moment à avoir pris des cours chez lui, il va enfin aller dans une école, une vraie. Il se fera des amis, c'est certain. Si seulement.

« Lucie Gilread ?
- Madame... C'est Aelgyth... Ma mère a-
- Lucie, donc, présente. »

Les mots lui ont manqués. Les regards s'étaient tous tournés vers lui. Centre. Mauvais. Il se sentait déjà exclu et cible de toutes moqueries. Sa poitrine lui faisait mal. Il avait tant attendu son prénom, pour que celui-ci revienne le hanter. Respire. Ce n'est que le début.

« Alors Lucie ? Pourquoi tu ressembles à un mec hein ? »

Ça commence.

« C'était quoi l'autre ? Aetruc ?
- C'est débile ! Pourquoi tu veux pas qu'on t'appelle Lucie, Lucie ? »

Inspire. Tout finira par passer.

« Mais du coup, t'es quoi, un gars ou une fille ?
- On a qu'à lui retirer son pantalon pour voir ! »

Les rires. L'aide qui ne viendra pas. Le sang qui pulse à sa tête. Et les griffes qui jaillissent. Le sang qui éclaboussent les plumes noires de jais de l'intrus. Sa main couverte de sang et les cris d'horreurs des enfants. Les cris des adultes. Et la haine de ces abrutis. De ces intolérants.



« C'est un scandale !
- Madame, votre fille...
- C'est mon fils, et je vous l'ai expliqué en long et en large ! Cette situation est uniquement de votre faute !
- Et si mon enfant a des séquelles à vie ?!
- Qu'il les garde ! Il sera marqué de son intolérance comme ça ! Personne le l'approchera ! »

Aelgyth n'aime pas quand maman crie. Mais cette fois, il était bien content qu'elle l'ait fait. Malgré tout, il sourit. Il est aimé par sa maman. C'est tout ce qui compte. Aelgyth ne remettra jamais les pieds dans cette école. Mais il revit Valentin. Jusqu'à l'ultimatum.

Aelgyth et Valentin s'aimaient vraiment, mais les sorciers ont une très mauvaise réputation au sein des Gilread. La preuve en fut faite ce jour là.

« Aelgyth. Tu choisis. Tes médicaments, ou ce sorcier. A toi de voir. »

Le monde s'effondrait. Plus de Valentin. Aelgyth avait son adresse dans un coin de sa poche. Son petit trésor. Le seul moyen de communiquer, envoyer des lettres. Une si belle relation, secrète, au goût d'interdit. Les lettres se faisaient rares. Puis absentes. L'enfant prenait ses cours chez lui, avec un professeur attitré. Il regrettait de ne pas pouvoir interagir avec d'autres enfants, mais son expérience passée lui avait passé l'envie d'essayer.