Le train-train quotidien ne revient pas. Du moins, pas totalement. Il y a certaines personnes ou situations que je ne peux pas m’empêcher d’éviter. Comme le fait d’être seule dans un endroit précis. Alors, je cours, je disparais derrière les murs, je fuis les regards. Surtout ceux des Pégases, en fait. On ne sait jamais, s’ils se sont regroupés en une sorte de secte. Donc, pour l’instant, je traine à la bibliothèque avec Lili, je vérifie mes notes rapidement avant de reprendre le programme là où je l’avais laissé… En histoire humaine sur ce coup-là. Et c’est qu’il y en a plein, des choses à retenir. Finalement, les maths, ce n’est pas plus mal. Je soupire, lis, prends quelques notes des dates et faits importants, résume rapidement les faits passés. Pendant presque deux heures. Je fais attention, et là, il n’y a quasiment plus personne au milieu des livres.

Prestement, je récupère rapidement ma petite pile de livres, cahiers et compagnie, avant de filer à toute vitesse suivie de la petite licorne. En un éclair, j’ai disparu et me mêle à la masse qui file à la grande salle pour aller récupérer à manger – uniquement du sucre pour ma part cette fois-ci. Et, on ne change pas ses bonnes habitudes, je récupère un petit sachet de cookies. Je quitte alors cet endroit aussi vite que je suis arrivée… Je ne pourrai pas réviser correctement ici. Hm. Finalement, je me glisse derrière un groupe de filles, des Faunes. Je ne sais pas où elles se rendent, mais cela importe peu. Dans le pire des cas, je retourne dans la chambre… Même si ce n’est pas le meilleur endroit pour apprendre des trucs aussi théoriques et lointains qui n’ont que peu de ses à mes yeux. Plutôt que d’apprendre l’histoire des humains, qui me parait tout aussi inutile que notre passé, pourquoi on n’apprendre pas celle des créatures magiques ? Hmm ?? Je soupire…

Et les filles finissent par pousser une porte. Tiens. Je ne me souviens pas m’être déjà rendue ici. Je les remercie d’un petit signe de tête pour les remercier parce qu’elles tiennent la porte, et je me faufile à leur suite, pénétrant dans le foyer commun.

Outch. C’est qu’il y a du monde sur tous ces canapés. Mes yeux parcourent la salle, en rencontrent d’autres, cherchent. Y a-t-il quelqu’un que je connais ? Même si je n’y crois pas trop… Pourtant, je suis surprise. Alors que je m’avance, mes yeux passent sur quelqu’un que je connais. Je cligne des yeux un instant avant de longer la salle sur le côté. On peut bien se demander ce que je fais là. Mais peu importe, je passe par le côté, discrètement. Et, d’un éclair, je m’assois non loin de Daniel, relevant discrètement mes yeux vers lui. Je l’observe silencieusement, n’osant pas l’interrompre si jamais il fait quelque chose… La licorne, quant à elle, est venue s’installer sur le canapé à son tour – les princesses ont du mal à supporter le sol. Puis elle pose sa tête sur mes genoux alors que je pose une main sur son corps par habitude.

Je n'ai pas le temps d'observer longtemps Daniel que se voix se fait entendre. En réalité, mon regard s'est plutôt posé sur le petit bouc avec ses cornes arc-en-ciel. Je pourrai m'extasier devant que ça ne choquerait personne. Ou presque. Lili lui jette un regard discret et légèrement moqueur. Qu'est-ce qu'elle aimerait pas être à sa place, surtout en plein milieu d'une salle si peuplée.

« B-bonjour ... D-Da-Daniel. »

Puis j'ai tout simplement hoché de la tête quand il demande pour Lili, un léger sourire aux lèvres. Une question suit de près alors. Comment ça va ? Si on oublie tous les petits changements dans mes habitudes, on peut dire que ça va à peu près... Oui, à peu près.

« C-ça va.. Et toi ? »

Je quitte enfin le familier du regard pour tourner légèrement la tête vers Daniel. Mais ils ne se croisent pas bien longtemps, puisqu'il est rapidement attiré par son propre familier qui le fait soupirer. Et prononcer quelques mots qui ne me sont pas directement adressés. Lui demander quoi ? Ou plutôt, me demander quoi ? Mon regard suit celui de Daniel pour aller vers le familier. Il veut quelque chose ? Il s'approche alors de moi avec les yeux du chat Potté, tout en la posant sur le canapé. Il est vraiment adorable, Loki ! Lili, de son côté, voit ça d'un mauvais œil. Puis ses cornes arc-en-ciel me font doucement ricaner. Au moins, comme je ne suis pas seule, je n'ai pas trop à m'en faire du reste et peux me détendre pour l'instant.

La voix du familier me parvient alors. Il veut mes biscuits. MES biscuits. Je ne les écoute qu'à moitié quand ils se parlent pour savoir s'il mérite réellement d'avoir de quoi grignoter. Mais, dans ma tête, je réfléchis. C'est quand même mon repas du soir. Je ne vais rien manger de plus. Puis, surtout, ce n'est que du sucré. Tout ce que j'aime. Alors, un de moins, ça me parait compliqué... Je ne sais pas combien de temps j'ai pu réfléchir, mais ils ont dû ses poser des questions. Je finis par réagir, et prends de nouveau la parole.

« S-seulement si Lili veut bien partager. »

Doucement, je sors alors un biscuit. Elle me fixe, alors que je lui ajoute qu'elle en aura plus la prochaine fois pour me faire pardonner. Je sors alors les cookies de ma poche, ouvre le sachet en plastique et en tend un à la petite licorne qui l'attrape doucement entre ses lèvres. D'un regard qui se veut légèrement joueur - mais un peu sévère aussi, la pouliche bouge un peu pour tendre le cookie au bouc. Ça me fait sourire, on dirait presque un couple ! Je profite du spectacle pour en ramener un à mes lèvres, avant de bouger de ma main libre les bouquins qui traînaient encore sur mes genoux et que je pose juste à côté. Puis, finalement, je me tourne de nouveau vers Daniel, pour lui poser une question plus par politesse que réelle envie. Si je m'écoutais, j'aurais déjà avalé tous les cookies avec entrain.

« Tu en veux un ... ? »

Les mots ont passé mes lèvres avec une petite voix. J'espère simplement qu'il ne le prendra pas mal s'il remarque que j'ai pas trop envie de les partager !

Tout en grignotant avec plaisir, sa réponse ne tarde pas alors que j’acquiesce doucement avant de les avaler en deux temps trois mouvements. On peut dire que je ne me fais pas prier... Je ne l'aurais probablement pas quitté des yeux s'il ne m'avait pas posé cette question. Si j'ai déjà mangé... Oui, bien sûr, oui. J'ai hoché de nouveau la tête avant de tenter de lui faire un sourire le plus rassurant possible. Comment lui dire que je n'ai pas très faim et que le repas normal de ce midi me suffit presque amplement pour une journée, si on oublie le petit déjeuner et le grignote récurent ?

Alors que mon regard se pose de nouveau sur lui, je ne croise pas réellement le sien. Non, il observe autre chose. Instinctivement, je suis la direction que prennent ses yeux jusqu'à arriver sur ma pile de livres et de cahiers.

« A peu près oui. Il n'y avait plus personne à la biblio donc j'ai filé... » Au fur et à mesure que les mots passent mes lèvres, le volume de ma voix diminue. Comme si je ne voulais pas que ce soit entendu, ce qui n'est pas tout à fait faux.

Mais rapidement, Daniel change de sujet. De quoi me faire sourire alors que l'on peut percevoir à des kilomètres que je me retiens de rigoler ! C'est ce qu'il vaut mieux faire pour ne pas se prendre une corne dans les côtes. Le ton du magicien ne fait que déplaire à la pouliche qui sent l'ironie de loin. Ses oreilles se couchent doucement sur sa tête alors qu'un de ses sabots vient frapper le sol.

« La prochaine fois, ce sera donc à Loki de m'offrir de quoi grignoter si je comprends bien. » Son ton est loin d'être moqueur. Sérieux. Limite hautain. Qu'est-ce qu'elle n'aime pas que l'on se moque d'elle, la licorne ! Elle s'approche alors pour venir se blottir contre moi sans les quitter du regard - Lili se garde d'ailleurs de les fusiller si elle le pouvait.

Pour ne pas la déranger plus, je déplace les livres pour en sortir un cahier qui était logé tout en dessous. Doucement, je le tends vers Daniel en expliquant ce qu'il y a dedans.

« C-ce sont les dessins dont on avait parlé... »

En tournant les pages, il pourra principalement remarquer des dessins d'équidés : licornes, pégases, surtout au début. Mais vers le milieu, il n'y aura plus que des croquis de Lili sous toutes les coutures. Et pour finir. Un dessin d'une personne qu'il pourra aisément reconnaître et j'ai presque oublié qu'il se trouve ici-même. Archibald avec les pommettes rougies et qui détourne le regard.

{Sorry pour l'attente ! Je ferai intervenir notre truc la prochaine fois }

Légèrement gênée de partager mes œuvres , je ne jette que quelques regards dans sa direction avant que mes yeux ne viennent se poser sur la pièce de nouveau, pour fixer les familiers ou les autres personnes alentours en attendant d'entendre son verdict. Ou plutôt son ressenti. Enfin, tout ça à la fois, même si en réalité son avis ne changera rien à ce que je continue de dessiner ou pas. Il aura peut-être juste des commentaires à me faire afin que je m’améliore. Sa première remarque arrive alors et je tourne à nouveau le regard vers lui, les joues ayant déjà pris une teinte rosée, pour confirmer ses mots et répondre positivement à sa question. Oui, c’est bien Lili ! D’ailleurs, la petite licorne ronchonne un peu dans son coin en apprenant qu’il peut voir toutes les émotions qu’elle a pu me montrer depuis le moment où nous avons appris à nous connaitre.

D’ailleurs, revoir les dessins à ses côtés me rappelle des souvenirs qui sont de plus en plus proches et je ne prends plus le temps de tenter de me cacher. Il semble en apprécier le contenu et cela ne peut que me ravir. Jusqu’à arriver sur le dernier et que je n’entre en phase de prière. Pourvu qu’il ne le connaisse pas ! Pourvu qu’il ne dise rien ! Qu’il n’ait rien vu, qu’il… Mon regard s’est très vite détourné de peur de connaitre sa réaction qui est tout de même arrivée.

Et il le connait…! Bon dieu, je vais faire quoi ? Feindre l’innocente ? Impossible ! Qui irait dessiner un inconnu qui rougit alors qu’il doit pertinemment savoir que ça ne lui arrive au maximum qu’une fois par mois !? C’est impossible… Pourquoi j’ai oublié ce dessin ? Pourquoi je l’ai mis là surtout ? Le revirement de situation semble amuser Lili qui me fixe avec un sourire plus que taquin juste à côté de moi. Je ne réponds pas tout de suite, malgré sa question qui arrive assez rapidement alors que mon cahier vient se faufiler entre nous et que je me rends compte que la distance nous séparant avait très vite été rongée par cette envie de revivre les souvenirs de ces dessins. Mais plutôt que de m’éloigner, je préfère tenter d’ignorer cette remarque que j’ai faite à moi-même pour remettre mon carnet de dessin avec mes livres de cours et souffler un bon coup.

« Hm... O-oui. Il m’aide pour les cours… Et euh… C’est en partie pour ça, que la dernière fois… »

Plus que de la gêne, ces souvenirs ne me plaisent pas vraiment et je préfère tenter de les balayer de ma mémoire en regardant droit devant moi et tentant d’éviter son regard qui, je le sais, ne me veut aucun mal et même au contraire de ce que j’en ai compris… Alors que je laisse quelques secondes s’écouler, un de nos professeurs s’approche de nous et vient même s’arrêter. Mes yeux semblent former des billes tant je suis surprise. Vient-il m’annoncer une nouvelle mauvaise note ? Que je vais devoir faire un rattrapage ou quelque chose de ce genre ? C’est la boule au ventre que je fixe ses gestes alors qu’il ne prononce que quelques mots : « Tiens, vous tombez bien tous les deux. ». Il nous tend alors une lettre avant de nous souhaiter une bonne fin de journée et de repartir aussi vite qu’il est apparu. Je fixe alors Daniel un instant, incrédule. Pourquoi on reçoit tous les deux une lettre en même temps ? On serait convoqués tous les deux ?

Curieuse, je l’observe sous toutes les coutures et remarque le nom de mes parents. Ils n’ont rien trouvé d’autre pour me contacter ? Parce que je ne leur réponds plus au téléphone, ils font passer une lettre par nos professeurs ? Ne sachant pas trop quoi penser de cette lettre, je la fixe un instant avant que mon regard ne se tourne vers Daniel. Peut-être que le contenu de la sienne sera plus intéressant ? Et puis, ça repousse, comme je l’avais souhaité, mes autres pensées et la gêne qui s’étaient installées.

Voyant qu'il s'élance le premier pour ouvrir sa lettre, j'hésite un moment et prend mon courage à deux mains. Après avoir soufflé un bon coup, mes mains tremblantes déchirent l'enveloppe pour en ressortir une lettre. On voit bien que son écriture est appliquée. Pas comme à l'habitude. Ce n'est pas du vite fait. Mais le plus choquant, ce sont les mots qui défilent sous mes yeux. Surtout certains. Mariage. Mariage. Dans cette peur qui me ronge depuis l'été dernier, la voix de Dan' se fait alors entendre.

« Tu... Je … T'as lu ta lettre ? Mais je ne l'ai pas entendu. Au lieu de ça, sa voix me pousser à m'emporter.
- Non ! Non ! C'était... Mon regard horrifié croise alors celui de Daniel, alors que d'autres se sont tournés vers nous. Pas ce que l'on avait convenu...
- C'est une annonce. De fiançailles. De moi... et toi. »

Je l'avais bien compris. Bien trop compris. Ses mots sont comme le coup fatal qui vient m'achever, et les larmes qui ont semblé retenues ont finalement coulé sur mes joues, d'abord lentement. Dans cette vision floutée qui passe sous mes yeux, j'ai senti que Daniel s'est déplacé, même si je n'arrive pas à déterminer ce qu'il fait exactement. Non... Parce que les larmes se sont faites plus nombreuses, plus rapides, et que même en passant mes mains sur mes yeux, cela ne semble pas suffire.

Mais il n'a pas repris la parole. Non. Au lieu de cela, c'est son rire que j'ai entendu. De quoi me faire frissonner. De quoi me faire perdre la tête. Il ne semble pas trouver cela drôle, mais... je trouve cela malaisant. Je ne saurai pas exactement l'expliquer, juste... Mes yeux se sont alors rabaissés vers mes genoux, alors que mes poings sont posés sur ces derniers. Tout ça pour faire tomber mes cheveux devant mon visage, pour que l'on oublie, que l'on ne voit pas que je pleure. Je n'ai d'ailleurs pas envie que les autres croient que c'est à cause de lui que je suis dans cet état. Non... Comme moi, il est une victime. Lui non plus n'a rien demandé. Et ses mots d'après ne peuvent que me le confirmer.

« Oh putain, j'en peux plus. MAIS MERDE ! Juste, ils peuvent pas me laisser en paix crever dans un coin ?! Nan, faut qu'ils me fassent chier jusqu'au bout hein ! Putain. … Merde Mélo j'suis désolé pour toi. J'sais pas ce que t'as pu faire pour mériter ce bordel... Putain, merde tu vas avoir les beaux parents les plus terribles et tu vas devoir me supporter... Oh la merde, j'sais même pas quoi dire là. »

Ce n'est qu'après ces mots que j'ai pu me résoudre à bouger de nouveau. Sécher ces larmes, tenter de les arrêter. Certes, elles continuent de couler, mais le flux s'est un peu résorbé. Une fois fait, j'ai alors relevé lentement la tête vers lui. Pour tenter de croiser son regard, que lui ne voie mes yeux rougis. Et ma voix, brisée, s'est alors fait entendre, presque telle un chuchotement.

« T'excuses pas... T'excuses pas... C-c'est pas ta faute... Ils... Depuis cet été, ils me menacent de me fiancer... Je-je veux pas... »

A tel point que c'en est devenu une hantise. Que parce que je n'ai plus voulu communiquer, je suppose, ils ne me forcent à cela. Et dans ce genre de moments, j'aimerai bien disparaître. Bien que je devrai peut être me réjouir que ce soit avec lui et pas le bon gros bougre du coin. Je ne sais. Mais, si je connaissais un peu mieux la magie, peut-être le pourrais-je. Mode camouflage. Devenir un chat. Vivre comme un chat. Leur vie a l'air tellement plus facile... Et sur ce coup-là, j'envie tous les animaux de la Terre de ne pas avoir de questions à se poser et de simplement suivre leurs instincts.