Tic Tac

Le samedi matin. Normalement, tu apprécies les samedis matins. La perspective du week-end ne te laisse jamais vraiment indifférente, il faut bien avouer. Mais aujourd’hui, tu voudrais juste t’allonger sur ton bureau pour y finir ta nuit. Les cauchemars s’accumulent depuis quelques temps déjà, si bien que tu as fini par ne plus espérer qu’ils s’arrêtent. L’intervention chez le garde-chasse était peut-être l’intervention de trop…

Tic Tac

8h45, tu ouvres l’infirmerie en loupant la serrure deux fois. Tu grommelles dans ta barbe en voyant la peinture légèrement éraflée et en pensant que tu ne risques pas pouvoir remédier à ces dégâts avant un petit bout de temps, vu ton état. Tant pis. Ce n’est que de la peinture autour d’une serrure. Personne ne remarquera un si petit détail, et ce sera réparé lorsque tu iras mieux.

Tic Tac

Tu rentres dans ton infirmerie, places sur la porte le panneau indiquant que c’est ouvert, puis te diriges vers ton bureau, en espérant avoir une matinée calme. Mais c’est samedi matin. Entre le sport, l’inventaire à faire et lui, tu te doutes que cette matinée ne sera pas de tout repos. Tu fixes l’horloge. 8h50. Il est déjà venu la semaine dernière. Et celle d’avant. Et celle d’encore avant. Avec un peu de chance, il va trouver un autre moyen de sécher, sans forcément venir chez toi.

Tic Tac

Tu t’affales sur ton bureau, et places tes mains sous ton visage. Directement, tu te sens tourner derrière tes yeux fermés. Tu as juste besoin d’un peu de sommeil pour survivre à ce matin. Juste un peu. Est-ce que c’est trop demandé ? Si Dieu existe, il peut bien de faire une petite fleur de temps en temps, non ?
On toque.

« Bonjour Madame Loisel... J'viens vous voir car je crois que j'ai attrapé la crève... »

Ok.
Soit Dieu n’existe pas, soit il te déteste.
Tu te redresses difficilement avant de fixer Blake Roussel, qui trouve toujours un moyen de sécher le sport. Le plus souvent, c’est par l’infirmerie qu’il passe. Et le pire, c’est que tu ne peux jamais le refuser, car il imagine sans cesse de nouvelles techniques afin d’être vraiment malade. Tu ne sais pas comment il fait, mais selon toi, ça frôle le grand art.
Tu regardes ta montre d’un œil fatigué. 8h55. Les cours commencent à 9h. Il vient toujours avant le début du sport, afin de ne pas être d’y mettre un demi orteil.

« Pile à l’heure, Blake. Tu me déçois pas. »

Il semble fiévreux, cette fois. Et il semble en faire des tonnes, également, mais tu as maintenant l’habitude. C’est courant qu’il vienne te voir avec de la fièvre, c’est tout de même une chose facile à attraper, surtout en cette saison.
« Après la fièvre du samedi soir, la fièvre du samedi matin. »
Tu aurais bien voulu rire à cette blague franchement hilarante de ton familier, mais tu n’as ni le courage, ni la force. Tu pointes à Blake le fond de l’infirmerie.

« Les lits de repos sont au fond, tu connais le chemin, maintenant. Je vais venir dans quelques minutes. »

Une fois que tu auras trouvé des médicaments contre la fièvre, ton thermomètre infra-rouge et du courage. Mais bon, quand il faut y aller, il faut y aller… Tu te lèves donc difficilement de ta chaise adorée avant de te diriger vers ton armoire à pharmacie pour fouiller dedans. Une fois que tu as trouvé ce que tu cherchais, tu retournes vers Blake.

« Bon. T’as fait quoi, cette fois ? »

« Je sais pas Madame à vrai dire... Peut être que c'est pendant ma douche d'hier soir, c'était une journée épuisante et j'avais vite envie de dormir... »

Mais qu’il arrête de t’appeler « Madame »… Certes, c’est devenu la norme et tu n’apprécies pas être pris pour jeune que tu ne l’es, mais disons que tu n’aimes pas vraiment avoir l’air d’avoir 50 ans non plus.
« C’est peut-être ton air fatigué qui te vieillit. »
Tu n’espères pas. Sinon, tout le monde va se mettre à t’appeler Madame, et tu serais vraiment mal à l’aise. Et énervée. Et personne ne veut te voir énervée.

« J'ai dû mal sécher mes cheveux après mon shampoing... Et puis j'ai dû dormir en ayant les cheveux un peu mouillés... A cette température... C'est une belle bêtise... Je devrais faire plus attention, en plus laisser ses cheveux mouillés ça finit par les abîmer... Et je voudrai vraimeeeeeeeeent pas les abîmer. »

Tu refoules difficilement ton envie de l’étrangler. Le seul point positif que tu vois à faire ce geste, en plus qu’il arrête de parler de ses maudits cheveux, c’est qu’il serait directement sur place pour être soigné. Sinon, ce serait conseil de discipline, renvoie de l’école, prison pour tentative de meurtre…
« Mais tu n’entendrais plus parler de ses cheveux. »
Epsilon vient se percher sur les barreaux au pied du lit de Blake. Tu te raccroches à cette image pour résister. Si jamais il se met à parler de ses cheveux à nouveau, tu vas finir par les lui raser.

« Mais les chambres sont chauffées, tu sais ? Tu ne serais pas allé te balader dehors juste après, par pur hasard ? »

Il en serait bien capable. C’est un garçon intelligent pour ce qui est de trouver de nouvelles manières de tomber malade. Et le temps l’y encourage, en plus. Dehors les cheveux mouillés, c’est un bon moyen de choper un coup de froid, en ce moment.
Tu balances un cachet effervescent contre la fièvre dans un verre d’eau que tu as posé à côté de son lit, avant de pointer vers son front ton fidèle thermomètre infra-rouge. Tu l’as acheté lorsque tu as commencé à exercer en tant qu’infirmière scolaire. Tu ne pouvais plus emprunter le matériel de l’hôpital, bien évidemment. Tu fus donc obligée de t’équiper du minimum : thermomètre, stéthoscope, brassard pour mesurer la tension…

« 38,2. Légèrement au-dessus de la normale. »

Il va donc être obligé de te pourrir le reste de la matinée en restant se reposer ici. Au moins, une fois que tu auras fini de l’examiner, tu pourras retourner à ton bureau, le laisser seul, et espérer qu’il te laisse te reposer. A moins que tu ne l’endormes de force. Ce serait un bon moyen pour être sûre d’être tranquille.
« Sinon, tu peux juste espérer et ne pas faire de conneries. »
Mais ce serait tellement plus simple…

« Débarrasse-toi de ta chemise, j’ai besoin de prendre ta tension. »

Et de vérifier sa respiration et son pouls.
Tu t’éloignes deux secondes pour aller chercher ton tensiomètre et ton stéthoscope avant de revenir vers lui. Il serait peut-être temps qu’il comprenne que tu as d’autres choses plus importantes à faire plutôt que de t’occuper d’un gamin qui n’a pas envie d’aller faire du sport. Qui sait ? Si jamais un accident sérieux survient...

Il grimace. Apparemment, l’idée d’avoir à se déshabiller sous tes yeux le dérange. Tu n’arrives pas à retenir un petit sourire satisfait. Tu sais parfaitement que son tatouage n’est pas la cause de ce désagrément, étant donné que tu l’as déjà vu. Mais immédiatement, tu t’en veux. Ce n’est pas ton genre de te réjouir des malheurs d’autrui. Tu effaces donc rapidement ce sourire de ton visage avant de lancer à Blake un regard d’excuse, en espérant au fond de toi qu’il n’a rien remarqué.

« Ouais....Eh.... C'est pas trop dangereux nan ? Je veux dire... ça pourrait aggraver mon état... Un mauvais coup de froid et on reste coincés ici tous les deux ? Non ? A moins que vous aimez quand je viens vous voir ? Dans ce cas je suis flatté... Je vous ramènerai des fleurs la prochaine fois ! Vous aimez les marguerites ? »

Tu lui lances un regard blasé.

« Non. Je préfère les lys blancs. »

Et tu attends. Peut-être qu’il va t’écouter rapidement pour une fois. Qu’est-ce que tu aurais fait avec des marguerites, de toute façon ? Tu les aurais mangées ? Et il aurait été capable de t’en ramener, c’est bien ça le pire. Ou de te ramener des pâquerettes trouvés dans le parc du château. Et puis pourquoi pas après tout ? Avec toute la patience dont tu fais preuve à son égard, il pourrait bien te ramener des fleurs la prochaine fois qu’il passe. Ce qui devrait se faire dans trois jours, minimum.

Il finit tout de même par retirer sa chemise en vitesse avant de la balancer dans la figure de son familier, apparemment exaspéré. Tout comme toi, à vrai dire.

« Eh ! Tu n’as pas besoin d’être violent avec elle. Crois-moi que si tu veux que je continue à t’accepter gentiment ici pour que tu puisses sécher le sport en toute tranquillité, tu as intérêt à bien te conduire. »

Il est rare que tu sois aussi sèche, mais cette fois-ci, tu espères t’être bien fait comprendre. Aucune démonstration de violence ne doit être faite sous tes yeux, sous peine que la gentille petite infirmière compréhensive en toute circonstances s’efface soudainement pour laisser place à quelqu’un de beaucoup moins sympathique.

« Et décroise les bras que je puisse travailler. »

Tu places le tensiomètre autour de son bras, et commence à le gonfler. Une fois fait, tu positionnes ton stéthoscope dans le creux de son coude. Tu dégonfles petit à petit le tensiomètre tout en écoutant attentivement le moment où tu entendras à nouveau son pouls. Pression systolique : 12 mmHg. Tu continues à dégonfler jusqu’à ce que plus aucun son ne soit audible. Pression diastolique : 8mmHg.

« 12.8. Tout est normal à ce niveau-là. »

Tu lui retires un peu brusquement le brassard pour le poser aux côtés de Blake, sur son lit. Tu gardes sur toi ton stéthoscope pour le placer sur son torse, sans vraiment faire gaffe au fait que le métal pourrait être un peu froid pour ton patient. La tête en vrac, tu commences à écouter son cœur, pour vérifier qu’il ne se soit pas rendu plus malade que prévu. Tu crains le jour où il arrivera chez toi, et où tu ne seras plus assez qualifiée pour le soigner. Voire même où son cas sera sérieux. Mais rien ne t’indique ce soit le cas aujourd’hui. Aucun souffle, aucun problème de systole ou de diastole.
Tu contournes son lit pour te mettre derrière lui. Au tour des poumons maintenant.

« Respire fort. »

Hum… Il y a juste un léger problème à l’inspiration mais c’est à cause de… Euh…
« Son embonpoint ? »
Ouais, on va dire ça comme ça. Il faudrait qu’il commence à y faire attention, étant donné qu’il ne semble avoir aucun problème de santé sur ce point.

« Bon. Tu vas finir par me dire pourquoi tu viens te réfugier ici tous les samedis ou presque ? Parce qu’il y a une différence entre ne pas aimer le sport et le fuir comme la peste. »

Tu retournes devant lui en posant toutes tes affaires sur la table de nuit, à côté de la plante verte en plastique, afin de laisse son lit libre et que Blake puisse enfin s’allonger et se reposer. Tu saisis la chaise que tu laisses à proximité pour les visiteurs pour t’asseoir dessus et faire face à ton patient, jambes et bras croisés. Tu regardes son familier, une sorte de cochon poilu, lui ramener docilement sa chemise, qu’il s’empresse de remettre. Apparemment, malgré leurs querelles, ils semblent tout de même s’apprécier. Peut-être n’aurais-tu pas dû t’énerver.
Blake semble hésiter à te répondre, mais finit quand même par le faire.

« Hmpf... Meh... Bah... Courir, sauter, faire du sport en équipe et balancer des machins... C'est vachement violent comme sports nan ? On peut tomber en courant ou en sautant et se blesser. On peut se prendre un objet volant dans la figure, on peut se faire bousculer sur un terrain et s'ouvrir le crâne... Je préfère avoir un zéro pointé dans cette matière plutôt que de m'approcher de ce fichu terrain... »

Tu le vois porter la main à son cou, où tu sais que se trouve son tatouage. Heureusement pour lui que ce truc ne semble pas le gêner outre mesure, parce qu’il est vraiment mal placé, et visible de tous. Mais soudainement, tu te sens sacrément cruche. Tu aurais dû te douter que toute cette histoire avait un rapport avec ça.

« J'dois passer pour un fragile mais bon... J'ai tellement la trouille de me blesser et surtout de saigner que la moindre petite coupure me donne des méga sueurs froides... Alors tomber et me faire une grosse égratignure, c'est le malaise assuré... »

La peur du sang, donc… Heureusement que la nature l’a doté d’un gène Y supplémentaire, dans ce cas. Et ça explique également pourquoi il se ramène chez toi en panique dès qu’il pense s’être fait la moindre égratignure. Bien que toi-même, tu n’as pas spécialement peur du sang - ce serait un comble - tu peux facilement comprendre le fondement de cette crainte. Le sang, c’est censé resté à l’intérieur d’un corps, n’est-ce pas ? Tu conçois que l’idée d’en voir là où il ne devrait pas être peut être dérangeant, voire même effrayant.

« Je dois être ridicule, pas vrai ? »

Tu hausses un sourcil.

« Non. C’est normal d’avoir peur de certaines choses. Je pense que quelqu’un qui n’a peur de rien est plus dangereux qu’autre chose. Surtout pour lui-même, en fait. »

Et quelqu’un qui n’a peur de rien n’existe tout simplement pas. Soit cette personne est un vantard, soit elle n’a pas conscience de ce qui l’effraie vraiment. Tout le monde a peur de quelque chose, peu importe quoi. C’est la base de ce qui nous constitue, n’est-ce pas ?

« En revanche, ce qui est ridicule, c’est que tu penses être un “fragile“ ou être ridicule, justement. »

Personne ne devrait penser une telle chose de soi-même. Tu en sais quelque chose…

« Parce que vous ne trouvez pas ça ridicule que je vienne dès que j'ai mal quelque part comme un petit de trois ans qui est tombé sur un tapis ? Ou que je me rende malade exprès pour pourrir vos samedi matins ? »

Non. Juste très ennuyeux. Et ennuyant.
Le point positif, c’est qu’il a décidé d’avouer qu’il fait exprès de venir ici. Tu aurais dû enregistrer ses mots pour pouvoir les ressortir en cas de besoin. Mais tu évites soigneusement de lui dire. De toute façon, il s’en est rendu compte tout seul comme un grand, c’est un avancement non négligeable.

Tu réfléchis. Il évite donc le sport à cause de sa phobie, ce qui peut se comprendre en soi. Mais il existe des sports où le risque de se blesser, et surtout de saigner, est moindre. Comme la natation ou la danse. Tu devrais sûrement lui en parler, notamment parce que ce garçon a besoin d’exercice. Et d’un régime, malheureusement… Manque de chance, tu n’es pas diététicienne, tu ne peux donc pas lui en prescrire un. Mais tu ne vas pas manquer de le prévenir qu’il devrait faire attention à son alimentation. Mais pas maintenant. Autant éviter deux sujets potentiellement malaisants à la suite.

« Vous êtes une sorcière Madame Loisel ? Si c'est pas trop indiscret, c'est quoi votre phobie ? Et vous avez fait comment pour pouvoir la supporter comme ça ? »

Tu sursautes lorsqu’il te sort de tes pensées.
« Si c’est pas trop indiscret » ? Bien sûr que ça l’est. Tu soulèves un sourcil, visiblement peu encline à répondre à sa question.

« Déjà, arrête avec les “Madames“, s’il te plait. Ça fait du mal à mon égo, vois-tu ? »

Mais tu as l’air si vieille que ça ? Sérieusement, ce serait bien une première que quelqu’un le pense. Normalement, on te prend pour une élève, ou pour quelqu’un d’une vingtaine d’années, tout au plus. Quoi que ce serait une bonne idée… S’il pense que tu as bel et bien ton âge, peut-être vas-tu arrêter de dormir pour garder cette impression intacte.
« C’est pas une bonne idée. »
Screugneugneu. Toujours là pour casser tes délires, lui.

« Quant à ma Malédiction, qui te dit que je la supporte ? A cause d’elle, j’ai failli ne pas avoir mon diplôme, et par conséquent, mon travail. Je suis constamment sous pression lorsque j’utilise la Magie, et j’ai dû subir des tests psychologiques pour venir pratiquer ici. »

Et tu es un danger ambulant, mais tu évites de lui mentionner ce point précis concernant ce qui peut arriver lorsque tu fais des crises.

« Sinon, concrètement… Je vis avec. Je suis bien obligée, de toute façon. Je fais attention à ce que je fais quand je pratique et j’ai appris à connaitre mes limites. Plus ou moins. »

Le souvenir de ton intervention chez le garde-chasse te revient en mémoire. Enfin, si on peut dire ça… Quoi que tu te doutais d’avance que tu allais craquer en cours de route, tu t’es forcée. Au moins, tu n’as blessé personne, c’est l’essentiel.

« Bien que je ne me souviens pas vraiment de ce que je peux faire pendant mes crises, j’ai appris à craindre les conséquences de mes actes. Désormais, c’est plus de ça dont j’ai peur. »

Tu serres ta main sur ta hanche.

« Donc non, je ne supporte pas ma Malédiction. »

« Eh.... Désolé... J'aurais pas dû poser la question à la base... C'était con, c'est juste que... Je vois mal comment j'peux m'en sortir avec ce...Ce truc et tout et que j'ai personne avec qui vraiment en parler. »

Tu soupires en desserrant ta main de ta hanche. C’est que tu t’es fait mal, mine de rien.

« Tu n’as pas besoin de t’excuser. Je suis là pour ça, après tout. »

Tu repenses à ce qu’il a dit plus tôt. Treize frangins.
« Ça commence à faire beaucoup. »
Tu ne peux qu’approuver. Mais les Roussel… Tu te disais bien que son nom te parlait. Tu en as connu des Roussel. Ils étaient réputés pour être la plus grande famille du coin où tu habitais, en Alsace. Et par “grande“, tu n’entends pas forcément “réputée“. Juste nombreuse. En Alsace, tout le monde connaissait au moins un Roussel. Mais pour Blake, tu n’étais pas sûre. D’un autre côté, il ne ressemble pas vraiment aux Roussel que tu as connu étant plus jeune. Donc tu hésitais. Mais avec treize frères dans la fratrie, plus de doute possible.

« Cela dit ! C'est quand même vachement balèze d'avoir réussi à obtenir votre diplôme et ce poste dans cet endroit qui était ouvert qu'aux magiciens avant ? Me semble ? Surtout que ça doit pas être un boulot facile, même très difficile d'ailleurs ! »

C’est vrai que c’est sa première année ici. Tout comme c’est ta première année ici, mais également ta première année en tant qu’infirmière scolaire. Et il n’est effectivement pas rare que tu ressortes du travail, la tête en vrac avec l’envie de décompresser plus que tout. C’est toujours ce genre de jours où tu pars faire une petite ballade près de la forêt de Elfes, histoire de te détendre.

« En tout cas, j'vous admire quand même pas mal. »

Gros blanc.
D’un côté, ce qu’il vient de dire te fait chaud au cœur, d’un autre… Tu ne veux pas être admirée. Pas après toutes les catastrophes que tu as pu causer.

« Merci, mais je ne suis pas quelqu’un à admirer. Ce serait même plus l’inverse. »

Tu essayes plus que tout d’avoir l’air impassible, mais sans vraiment réussir. Ta jambe qui se met soudainement à trembler te trahi. Tu es dangereuse et tu as déjà blessé gravement d’autres personnes. Tu n’es pas la personne à admirer, loin de là.

« Tu demanderas à… »

Tu claques des doigts vers Blake, en essayant tant bien que mal de changer de sujet.

« Barry. C’est quoi ? Ton frère, ton cousin ? Il était au collège avec moi. D’ailleurs, il s’est calmé depuis le temps ? Parce qu’il avait tendance à être… Légèrement ennuyant sur les bords concernant la gente féminine. Dont moi, pas de chance. »

Tu aurais bien voulu dire “carrément insupportable“, mais Blake aurait pu mal le prendre si Barry se trouve être réellement de sa famille. Malgré tout, c’est parfaitement ce que tu pensais de lui, à l’époque.

« Ouais... Barry est marié depuis le temps, comme les neuf premiers. »

Pouah… Tu espères pour sa femme qu’il s’est vraiment calmé alors. Sinon… Bonne chance à elle. D’après ce que raconte Blake, il semblerait que Barry soit vraiment un de ses trop nombreux frères. Décidément, le monde est petit, et Blake ne lui ressemble pas du tout. Son frangin, de ce que tu te souviens, était grand et sec. Une vraie armoire à glace. Tu t’étais même imaginé qu’il serait un parfait catcheur ou boxeur poids lourd. En revanche, tu ne l’imaginais pas marié.

« Il a un gamin qui s'appelle Léon et sa femme est enceinte, c'est prévu pour cet été... Comme si y'en avait pas assez... »

Et encore moins père !
Ainsi, Blake est déjà oncle. C’est jeune. Pour toi, les enfants, ce n’est clairement pas pour maintenant mais tu aimerais bien être tante. Ton frère essaye bien de faire un enfant avec sa femme depuis presqu’un an, ils vont bien réussir un jour, non ? Quant à tes deux autres sœurs, elles profitent encore un peu, elles ne sont pas mariées il y a bien longtemps après tout. Et puis toi… Toute ta famille essaye de caser si bien que tu commences à en avoir marre.
Mais Blake, les enfants ne semblent pas le réjouir. D’un autre côté, il semble avoir vécu avec des gosses toute sa vie, sans jamais avoir pu profiter de sa position de petit dernier. Il a peut-être même des neveux plus âgés que lui, ce ne serait pas étonnant.

« Eh ! Vous aurez qu’à venir à la maison cet été, j'suis sûr que mes frères seront contents de vous voir si vous étiez dans le même collège. Genre on s'retrouverai dans le même train de retour ? Ça serait marrant ! »

Non. Clairement pas. Déjà, comme tu vis au château, tu ne peux tout simplement pas profiter des vacances scolaires. Alors, tu n’as pas spécialement envie de croiser des élèves la prochaine fois que tu iras rendre visite à tes parents. D’ailleurs, tu sens que la dite-visite va être…. Mouvementée. Ils n’ont jamais voulu que tu viennes pratiquer à Sainte Catherine et tu les as joyeusement envoyés bouler en leur faisant bien comprendre qu’ils n’avaient pas à interférer dans ta vie. Depuis, même si vous vous appelez de temps en temps, vous évitez soigneusement le sujet et l’ambiance est plutôt tendue au téléphone. Heureusement que le reste de la fratrie était plus compréhensif.

« Je plaisaaaaaaante. »

Ah ! Ouf !
La bonne blague.

« Ah ! Tu m’as fait peur ! Je croyais que tu étais sérieux pendant un moment… »

Non, franchement, tu as vraiment cru que son invitation était sérieuse. D’autant plus que ni ses frères, ni toi auriez été contents de vous revoir. Vous auriez fait bonne figure, à la limite… Mais personnellement, ça t’aurait laissée totalement indifférente.

« De toute façon, j’habite plus en Alsace depuis quelques temps. Je m’appelle pas Tanguy, tout de même ! Et l’ambiance est plutôt tendue en ce moment donc… »

Donc on va attendre que ça se décoince gentiment.