Cernes.
Comme souvent, la fatigue se fait sentir bien rapidement dans le cours de la journée. Mes mains tremblent légèrement, mais fort heureusement, ce n’est pas une crise. Ce n’est que la fatigue qui accentue les secousses perpétuelles. Serrer les poings n’est pas encore douloureux, je peux donc me déplacer sans soucis, si on oublie le fait que j’ai la tête ailleurs, ce midi. J’ai surtout la tête à correctement finir ma nuit et à espérer que ce léger état de fatigue ne se change pas soudainement en crise incontrôlable. J’ai des cours à donner cet après-midi. Je n’apprécierais pas devoir les reporter, d’autant plus que ces crises ont la fâcheuse tendance à m’épuiser pendant quelques jours supplémentaires.
Bref. Je rentre dans la grande salle, soulagé de pouvoir me reposer quelques heures avant de reprendre les cours. J’en profite pour humer l’odeur de nourriture dans la grande salle, l’eau à la bouche, avant de me souvenir que les repas de la cantine n’ont jamais vraiment été de mon goût, comme un peu près la totalité des repas à la cantine que j’ai dû subir dans ma vie. Le pire étant, bien évidemment, les repas à l’hôpital, durant les quelques semaines où je n’avais pas ma sonde naso-gastrique. De bons souvenirs. Ingurgiter à nouveau de la nourriture solide fut un grand choc pour mon estomac, à cette époque.
Je passe donc la porte de la grande salle, ignore royalement la femme avec une cape à mes côte – je crois qu’elle est professeur, je l’ai déjà vu squatter la machine à café – puis me bloque les roues dans le pas de la porte. Le “clac !“ typique de la roue qui se coince résonne dans le couloir. Je force une fois, deux fois, laisse échapper un “shit…“ qui ne passera sûrement pas inaperçu, puis soupire lorsque ma troisième tentative de déblocage est un succès. Je sens vaguement le lézard passer sous mon coude. Il était sur mes genoux. Visiblement, les secousses ne lui ont pas plu et le voilà sûrement qui détale au fond de mon sac. Je ne m’en occupe pas et poursuis ma route jusqu’au fond de la salle.

- Après tout, il fait bien sa vie, marmonné-je pour moi-même.

Une fois arrivée à une table où je ne vois personne qui pourrait potentiellement m’ennuyer, je sors la montre d’Aurore, déplace magiquement une chaise qui me gêne, puis m’installe tranquillement. Je me sers une assiette de légumes en retenant un bâillement, bien content de pouvoir être tranquille. D’ailleurs, histoire d’entretenir cette tranquillité et avant de commencer mon repas, je me retourne afin de saisir ma sacoche et d’en sortir un livre dans l’espoir qu’une fois plongé dedans, personne ne vienne m’enquiquiner.
Telle ne fut pas ma surprise de voir qu’un animal poilu avait visiblement élu domicile sur ma chère sacoche en cuire.

- … T’es quoi, toi ?


Les secousses ne plaisent pas au petit lézard à la queue bleue.
Cet humain n’a jamais été très confortable, il faut dire. Le reptile préfère largement passer sa journée dans la boite de cigares garnie de coton que le sorcier lui a installé dans sa chambre dès qu’il l’a reçu. Au moins, lorsqu’il y reste, le petit lézard n’a pas à supporter les sauts d’humeur de l’humain. D’ailleurs, le voilà qui se met à râler. Le lézard ressent une rapide pointe de colère, bien vite estomper par une violente bouffée de fatigue, de nostalgie et de jalousie.
Les secousses continuent, le petit reptile en a marre. Il s’enfuit de ses genoux. Au fond du sac, tout sera atténué – les secousses, les sensations, les sentiments. Mais le petit lézard se trompe. Une cape lui fouette le visage alors qu’il s’apprêtait à rentrer dans la sacoche en cuir, accrochée aux poignées du fauteuil du sorcier. Sans s’en rendre compte, le familier tombe non pas au fond du sac, mais au fond d’une poche. La sensation de balancement lui semble étrange les quelques premières secondes. Puis le reptile se dit que le sac s’est sûrement mis à se balancer lorsque l’humain a réussi à se débloquer. C’est sûrement ça.
Finalement, le petit lézard ferme les yeux et recommence à somnoler.
Les minutes passent. Le familier se sent oppressé au fond du sac. C’est étrange, se dit-il. Normalement, ce n’est pas le cas. Normalement, le lézard se cale entre deux livres afin de ne pas trop ressentir le déplacement puis s’endort. Là, le lézard ne parvient à trouver d’emplacement convenable. Pas moyen de mettre une patte sur un livre, alors que l’humain en a toujours sur lui. Le petit reptile est intrigué. Le voilà donc qui sort à nouveau, s’accroche difficilement à des morceaux de tissus tombants. Il n’a pas l’habitude, l’humain ne porte jamais de vêtements amples. Le lézard parvient à s’accrocher, remonte gauchement sur les genoux de la nouvelle personne.
Une femme. Le lézard ne la connait pas. Le lézard ne connait personne à part le sorcier.
Intrigué, le lézard la fixe en clignant des yeux, la tête penchée sur le côté.

Ft. Dans la tête de Salazard